Mise à jour le 25 mars 2023
Envie de travailler dans l’humanitaire ? Tenté par une reconversion professionnelle ?
Dans cette interview, retrouvez Quentin qui est passé du jonglage en France à devoir gérer des situations de crises, en zones de guerres africaines.
Vous allez découvrir les raisons de cette étonnante reconversion, ses expériences dans les ONG en Afrique ou en Asie et son point de vue sur les carrières dans l’humanitaire.
Écoutez tout de suite l’épisode (53 min) :
Sommaire
Épisode #083 sur la reconversion de Quentin vers l’humanitaire
Lors de mon passage à Dakar, pole central du secteur humanitaire en Afrique de l’Ouest, j’ai rencontré Quentin. Il est consultant pour Marie Stopes, ONG spécialisée sur les problématiques de planning familial dans les pays en développement. Au fil de nos discussions sur ses expériences dans l’humanitaire, il m’a semblé indispensable de vous présenter son parcours dans le podcast.
Après une dizaine d’années dans les métiers du cirque, Quentin a changé complètement de profession pour se reconvertir dans l’humanitaire. Dès sa première mission, il est envoyé sur une zone explosive (Nord-Kivu au Congo) pour y gérer plusieurs millions de budget. Une expérience marquante, parfois troublante.
Dans cette interview, on discute de sa carrière dans les métiers du cirque, pourquoi il a voulu changer de métier, comment s’est passé la reconversion, comment s’est déroulé sa première mission, la vie quotidienne dans une des zones les plus difficiles d’Afrique, ses meilleurs et pires souvenirs, sa vision de l’humanitaire dans un parcours de vie et enfin ses conseils pour ceux qui veulent se lancer dans ce secteur.
Les liens de l’épisode :
Comment écouter cet épisode ?
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Du cirque aux missions humanitaires en Afrique : Le résumé écrit de l’interview
Quentin est actuellement consultant pour Marie Stoppes, une ONG britannique centrée sur la planification familiale, à Dakar au Sénégal, depuis novembre 2017. Il travaille sur la chaine d’approvisionnement (logistique) pour 4 pays : Sénégal, Mali, Niger et Burkina Faso.
Avant l’humanitaire
Avant cette carrière dans une ONG, Quentin était dans le milieu du cirque pendant 10 ans. Après le lycée à 18 ans, il a intégré l’école nationale du cirque Annie fratellini durant 2 ans, avant de continuer à Chambéry une année supplémentaire.
De 21 à 29 ans, il était intermittent du spectacle en France ou en Europe. À la base, il est jongleur en massue et il a aussi été porteur en trapèze volant. Il a beaucoup travaillé en festival, dans la rue, en évènementiel pour des compagnies de théâtre modernes. Au final, rarement dans du cirque pur et traditionnel. Il a pu voyager en Espagne, Portugal, Maroc, Italie.
Il en vivait plutôt bien et il trouve ce milieu passionnant, malgré la précarité que l’on peut avoir. Le cirque est une véritable école de la vie et Quentin est ravi d’être passé par là.
Vers la reconversion
Il a rencontré une troupe de cirque cambodgienne à Toulouse : le projet Battambang. Monté à la fin des années 90 pour encadrer des jeunes cambodgiens qui avaient grandi dans des camps de réfugiés en Thaïlande et pas forcément adaptés à la vie sociale « normale ». Un collectif de cirque français se rendait régulièrement au Cambodge afin d’enseigner des disciplines de cirque aux jeunes de Battambang. 15 ans après, ce sont ces jeunes que Quentin a rencontrés à Toulouse.
Au Cambodge, les jeunes peuvent accéder aux cours de cirque, théâtre, danse, musique, peinture… s’ils vont à l’école et qu’ils passent leurs examens. Comme un contrat social pour scolariser les jeunes. Certains sont devenus des professionnels du cirque.
Ils recherchaient des gens pour enseigner aux professeurs de Phare Ponleu Selpak. Quentin est donc allé dans ce centre pendant 3 mois.Il accompagnait les professeurs sur la pédagogie, la sécurité des enfants…
Cette association était financée par le MAE (Ministère des Affaires Etrangères) et l’UNICEF. Quentin découvrit alors le monde des ONG. Avec un intérêt croisant pour cet univers et l’envie de se reconvertir, il a intégré l’école Bioforce près de Lyon qui forme aux métiers de l’humanitaire dans les zones d’urgence, avec 3 corps de métiers : gestion de projet, administration et finance, logistique. Il découvre alors un nouveau monde.
Quentin a donc suivi une formation en administration et finance pendant 9 mois. C’était très intense, mais intéressant, car il y a beaucoup de mises en pratique, avec des professeurs qui étaient professionnels. C’était très formateur.
L’arrivée au Congo
Il a fini l’école en juin et en octobre 2010, il était au Congo avec une ONG (Premières urgences) pour être coordinateur administratif et financier. Il était localisé à Goma, dans le nord Kivu, près de la frontière rwandaise. Il n’était pas très chaud au début, car il s’agit d’une zone très conflictuelle et il devait gérer un budget de 2,5 millions, somme énorme pour lui à l’époque.
Le premier jour où il atterrit à Kigali, la capitale du Rwanda, il fait 3H de route pour arriver à la frontière congolaise. Un pickup de l’ONG l’attend, va au bureau, traverse tout Goma et il hallucine. Il croise des pickups avec des gars armés, des tanks, des véhicules armés, de Casques bleus, il n’y a pas de goudron, c’est très pauvre, avec très peu d’infrastructures. Il plonge alors dans un monde qu’on ne peut même pas imaginer.
Il faut s’acclimater à ce tout ça durant les premières semaines. La ville de Goma est « safe » la journée, mais le climat est tendu. Il y a beaucoup de policiers, de militaires, de travailleurs humanitaires, avec plus au nord des groupes armés, milices… et on rentre dans une réalité de pseudo-chaos.
La vie à Goma
Premières Urgences avait un mandat multiple : déploiement d’équipes congolaises qui faisaient de la supervision d’une trentaine de camps de déplacés dans le nord Kivu, avec un travail de veille à faire remonter vers les Nations-Unis. L’autre volet était la construction de pistes pour améliorer l’accessibilité. Avec aussi un volet agricole pour aider la population.
Quentin était le responsable de l’engagement financier des dépenses pour l’ensemble de ces activités. Financé par des bailleurs internationaux (UE, gouvernements, agences des nations unies…), il devait garantir l’éligibilité des dépenses. Ce qui est parfois compliqué, notamment de la faiblesse de l’État congolais, la corruption ou la gestion dans l’urgence, ajoutée aux problèmes de sécurité.
Les premiers mois, Quentin était « noyé » sous le travail et sa complexité. Il a eu la chance d’avoir un patron et des collaborateurs congolais très compétents.
Il vivait dans une maison collective avec les bureaux de l’ONG sur la même parcelle, au bord du lac Kivu. On ne peut pas vraiment sortir de la ville à pied, surtout le soir. Il y a seulement 3/4 restaurants où tu peux aller manger. Il y a une sorte de pression psychologique, d’étouffement social et souvent, il ne sortait qu’une seule fois par mois de la parcelle. Cela marche en vase clos.
D’un côté, c’est chouette, car on crée des liens forts avec d’autres personnes, mais de l’autre, cela cré un environnement complètement artificiel.
Un lieu de travail sous haute tension
Quentin allait sur le terrain régulièrement, notamment pour faire des transferts d’argent en liquide sur les zones d’interventions. Ou pour aller dans d’autres bureaux de l’ONG pour appuyer ses assistants ou régler tous les problèmes. Il allait aussi vérifier les programmes et leur mise en place.
En ce qui concerne les missions sur le terrain, ils sont soumis à des protocoles de sécurités très stricts. Avant de prendre la route, ils attendent la validation du chef de mission, qui est garant de leur sécurité. Quentin n’a pas eu de problème sécuritaire durant sa période à Premières Urgences. Il a tout de même croisé des hommes armés, des milices… mais pas agressifs à son égard.
Par contre, il faut savoir que c’est une zone, où chaque semaine il y a des braquages. C’est le quotidien des travailleurs humanitaires. Sans forcément d’agressions physiques, mais où l’on prend tout : l’argent, la voiture…
L’efficacité du travail humanitaire
Cela fait 20/25 ans qu’il y a des ONG sur cette zone, suite au génocide Rwandais de 1994 qui a déstabilisé toute la région. Quentin a travaillé dans 3 ONG différentes à Goma. Et au bout de ces 2 ans et demi, il est compliqué de se dire « qu’est-ce que j’ai fait de concret ? ». Comme il gère l’argent, il n’est pas en prise directe au quotidien sur les activités de programme et il gérait beaucoup les problèmes. Pas forcément le côté « impact positif pour les populations », mais les dommages collatéraux liés au contexte compliqué de la situation.
Le sens est compliqué à tirer positivement. Mais oui l’impact est là, un vrai travail est fait.
Par contre, il existe un fossé entre les attentes et la réalité du travail humanitaire. Quentin ne connaissait pas le monde des ONG avant.
Il a réalisé l’ampleur de la réalité que vivent certaines populations dans ce monde, inimaginable, malgré les images à la télé. Ce sont des vies entières, de gens qui vivent cela toute leur vie.
Il retient aussi qu’il existe en tant que travailleur humanitaire, un risque à plonger sa vie dans ces réalités. Car on se coupe d’un monde qui est le sien pour plonger dans un monde qui ne nous appartient pas, mais dans lequel on donne son temps, son énergie, en sacrifiant pas mal de choses. Il y a matière à réflexion à plonger dans tout ça. Car il y a l’après-expérience et là le fossé, on le traverse dans l’autre sens. Il faut digérer ces réalités extrêmes.
Bilan contrasté
Quentin ne regrette pas ce changement de carrière, mais il aurait fait certaines choses différemment.
Il a travaillé dans ce milieu depuis plus de 5 ans, au Congo, puis en Thaïlande proche de la frontière birmane. Il travaillait pour Solidarités Internationales sur la gestion d’un réseau d’eau potable pour un camp de réfugiés birmans, de 40 000 personnes. Ensuite, les Philippines suite aux ouragans. Puis Guinée, Nigéria et enfin le Sahel où il travaille à Dakar.
Sa pire expérience : en novembre 2012 à Goma. Groupe armé tutsi, M23 qui a pris la ville de Goma. C’était un évènement marquant, car il y a eu des combats forts durant 24H, c’était la guerre dans la ville. C’était impressionnant, tir de mitrailleuse, tirs de tanks, réservoirs d’essence qui explosent… En tant qu’expat, il a eu le moyen de partir côté rwandais pour éviter le pire.
Côté plus heureux, Quentin se rappelle de la fermeture de mission aux Philippines. Pendant 2 mois, il s’est retrouvé avec une équipe philippine extraordinaire, avec des moments très fort humainement. Il y avait beaucoup de programmes de pépinières agricoles pour replanter les plantations détruites pour l’ouragan et une aide aux pêcheurs.
Actuellement, il est dans une zone plus tranquille de l’Afrique et travaille pour une ONG qui fait du développement et du planning familial. L’intensité de son travail s’est extrêmement adoucie. Il vit dans un appartement à Dakar, il peut sortir, avoir une vie sociale…
Quentin est en train de décrocher au niveau du travail humanitaire et aimerait se raccrocher à un réel plus « standard ». Il veut une vie plus posée, moins extrême, fonder une famille. Il envisage une reconversion, sans trop savoir dans quoi. Il va donc travailler dans l’humanitaire de façon plus « soft » le temps de changer son fusil d’épaule.
Travailler dans l’humanitaire à vie ?
À quelqu’un annonçant « j’aimerais bien travailler dans l’humanitaire », Quentin lui dirait : c’est un choix qui n’est pas anodin en terme de parcours de vie, l’humanitaire transforme des personnes, cela décale par rapport à une vie classique. Il conseillerait de faire une mission de 6 mois, puis revenir en France pour digérer, réfléchir pour savoir si on veut repartir et enchainer les missions. Il faut aussi garder dans sa tête que ce n’est qu’une tranche de vie et ne pas perdre de vue qu’il y a un après.
Cela concerne principalement les missions en zone d’urgence. Il y a tout un panel « développement » avec d’autre dynamique, contextes, rythmes où là, c’est plus proche d’une vie qu’on pourrait avoir en Europe. Posé, dans une zone calme, où on peut développer une vie personnelle, sociable… Là c’est autre chose, de l’expatriation plus classique et où es travers sont moindres et plus gérables.
Pour Quentin, Dakar c’est un « luxe », presque le paradis. Il a un rythme de vie où il peut rencontrer des gens et un quotidien, où il n’ y a pas que le boulot. Un contexte qui permet de cultiver d’autres pans de la vie. Chose très difficile à faire sur une zone d’urgence.
Mot de la fin : Quentin ne regrette pas ce parcours. Il a énormément appris de ces collaborateurs, avec beaucoup d’échanges culturels. C’est un métier riche en rencontres humaines, avec une place privilégiée pour rencontrer des personnes et situations que l’on ne peut pas rencontrer ailleurs.
Merci d’avoir écouté l’épisode #083 du podcast !
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– Michael